Un intellectuel peut-il rendre compte d’une réalité sociale dont il n’est pas lui-même partie ? Dans quelle mesure le chercheur, en tant que représentant de l’élite, peut-il faire entendre « la voix des dominés » ? C’est l’interrogation qui guide tout le travail de ce sociologue.
Le goût de Pialoux pour le terrain et la micro-enquête, indispensables à l’approche objective des réalités sociales selon lui, rend l’abord de ce livre un peu aride certes. Son travail présente toutefois un grand intérêt méthodologique. Il a notamment influencé Bourdieu avec lequel il a étroitement collaboré pour La Misère du monde, cet ouvrage collectif publié en 1993 et devenu un livre de référence de la sociologie française.
L’approche consiste à « s’immerger » suffisamment longtemps dans le milieu que l’on étudie pour pouvoir le comprendre, l’analyser, en réduisant le plus possible le biais de l’interprétation et celui de la personnalité de l’enquêteur.
Michel Pialoux s’est notamment intéressé à « l’habitat-dépotoir » - selon l’expression de l’époque. Cette partie de son travail entre particulièrement en résonnance avec l’actualité.
Un peu comme la question du climat pour les historiens, celle du logement des pauvres fut longtemps considérée comme triviale, ou sans objet, par les sociologues français, qui préféraient s’intéresser aux rapports de travail. La relégation spatiale n’est devenue un véritable sujet d’étude qu’à partir des années 1970. C’est la « sociogenèse » de cette mutation qui est minutieusement étudiée ici par Pialoux. Il montre comment les opérations de rénovation urbaine ont repoussé la catégorie la plus pauvre de la population hors des centres-villes historiques. Pour reloger les familles qui ne disposaient pas des ressources suffisantes pour accéder aux HLM nouvellement construites en périphérie des villes, les gouvernements successifs de ces années-là ont improvisé la construction de « cités de transit » ou « d’urgence ». Leurs habitants deviennent des « figures-repoussoirs » pour le reste de la population. Dans ces nouvelles cités commence leur décrochage psychologique et social tandis que les anciennes formes de sociabilité s’effritent.
Ces processus sociaux sont révolus mais ils se prolongent sous une autre forme dans la société contemporaine. Dans ce livre on découvre notamment comment s’est formé cet ensemble que l’on appelle aujourd’hui « les exclus », ainsi que les prémisses de la gentrification des villes, telle qu’on l’observe depuis quelques années dans les villes françaises et notamment à Paris.
Patricia De Pas
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