Au musée du quai Branly, Aurélien Gaborit (1) rassemble et organise une soixantaine de sculptures d'Afrique de l'Ouest, essentiellement des masques datés d'entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle. Se révèle le style cohérent des Toma, un peuple dans une zone forestière et montagneuse à l'est de la Guinée et du Liberia actuels.
Au XVIe siècle, l'effondrement de l'empire du Mali engendre des mouvements de populations dans toute l'Afrique occidentale. Et, en particulier, les Mane (considérés comme les ancêtres des Toma) s'établissent dans les forêts guinéennes. D'après les sources orales, les Toma auraient inventé une institution : le poro. C'est une société puissante d'initiés. Elle joue d'abord un rôle majeur dans les rites de passage à l'âge adulte ; ces rites marquent profondément la vie de chaque individu.
Chez les Toma, le poro est une force politique des « arbitres » initiés. A travers cette confrérie, des relations se tissent entre les chefs des différents villages, les notables, ceux qui contrôlent les forces naturelles ; cette confrérie permet de développer un réseau économique et aussi des groupes militaires, des expéditions. L'apprentissage du poro serait la voie vers l'âge adulte. Dans des bois secrets et sacrés, les lieux d'initiation (loin des villages) sont des campements, des « camps de réclusion » dissimilués par une barrière végétale.
Dans les décennies 1960-1990, certains lieux ont disparu à cause des régimes politiques ; mais les initiations reviendraient dans quelques régions de Guinée ou du Liberia. Les régimes politiques ont, à certains moments, lutté contre les cultes et les croyances du passé ; mais les habitants sont attachés à ces rites... Aujourd'hui, dans la vie moderne, l'initiation est souvent organisée pendant la scolarité. Dans ces lieux, les initiateurs enseignent (oralement) l'origine des mythes, les tatouages et les scarifications, les proverbes. Les jeunes apprennent à se défendre, à se cacher, à connaître les animaux, à chasser, à se nourrir. Les filles apprennent l'éducation, la conception, l'accouchement.
Les membres du poro font sculpter les masques ; ils les manipulent et dansent ; ils les gardent. Les élèves valeureux deviennent des initiateurs, des chefs, des guerriers. Ceux qui sont masqués dirigent les adolescents ; ils les protègent ; ils les surveillent. Les masques les plus connus des Toma se nomment les Angbaï. L'Angbaï est schématique. Il n'a aucune bouche ; il garde le secret ; il a des cornes protectrices qui encadrent une pointe ; cette pointe était sans doute pourvue d'un amalgame magique composé de matières organiques...
Tel masque-autel s'intitule Kouranko, avec des charges magiques. Aujourd'hui, l'IRM (l'imagerie par résonance magnétique) révèle des matériaux organiques et mêlés ; on découvre des colliers de graines, des plantes, des ossements broyés (humains ? animaux ?), des griffes de félins, des anneaux métalliques, de petits sachets de cuir, des cornes, des perles... Le masque Dandaï est inquiétant ; il comporte une grande mâchoire articulée et des dents aiguës ; il est considéré comme le neveu du plus puissant esprit de la forêt ; il viendrait avaler les enfants, puis les recracherait, devenus adultes ; ses marques de dents correspondraient à des scarifications ; à partir de la seconde moitié du XXe siècle, les sorties du Dandaï sembleraient moins terrifiantes...
Les Tomas ont aussi sculpté des « masques miniatures » ; ils permettent d'identifier la famille du propriétaire et ses fonctions. Un masque miniature restait glissé dans un minuscule sac en fibres végétales tressées ; il devait être protégé des regards et des accidents éventuels... Le poro des Toma se fonde sur le secret. Les savoirs des initiés ne doivent pas être divulgués. Selon les Toma, connaître un secret, ce serait avoir le pouvoir. Celui qui divulgue a perdu.
1. Responsable des collections Afrique au musée du quai Branly, responsable scientifique du Pavillon des Sessions au musée du Louvre.
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