Le Beau Temps raconte la vie de Maurice Jaubert. Du moins, sa vie telle que la sent, l’éprouve, l’auteure de C’est pourtant pas la guerre ou Dans la route, deux de ses textes ancrés dans la ville et ses alentours. La géographie importe : elle détermine les trajets qui mènent à Maurice Jaubert, et c’est une affaire de noms propres. Nice est le point de départ, « unique syllabe, brillante, aérienne », les Hauts-Bois d’Azerailles le lieu de sa mort, en juin 1940. Entre-temps, Jaubert aura été avocat, écrit dans la revue Esprit, été un partisan du Front populaire, dans lequel il voyait le progrès et la culture. On lui doit surtout des chansons, de la musique de chambre ou orchestrale et des musiques de films. Nous le connaissons par la « Chanson de Tessa », sur des paroles de Giraudoux, pour la musique de films de Carné comme Hôtel du Nord, Le Quai des brumes ou Le jour se lève, mais surtout pour la musique d’À propos de Nice ou de L’Atalante, de Jean Vigo. Comme beaucoup de ses contemporains, Maryline Desbiolles a découvert Jaubert grâce à La Chambre verte de François Truffaut. Et ce, après une visite au collège Maurice Jaubert de l’Ariane, quartier de Nice souvent montré du doigt, sur lequel elle écrit.
Comme dans toute biographie, l’auteure relate le parcours du musicien, l’inscrit dans son histoire familiale, sa fratrie, évoque sa mère, Haydée, alias Mine ou Méni, son surnom dans les nombreuses lettres que son fils lui écrit. Elle est belle, elle survivra à la plupart des siens, mais sa mélancolie ne la quitte pas : elle a perdu un enfant avant que Maurice ne meure à la guerre et sa jeunesse en a été marquée. La place de l’enfant mort, on en connaît l’importance chez Maryline Desbiolles, avec Primo, comme chez Philippe Forest ou Camille Laurens. Maurice a une enfance plutôt heureuse, immortalisée par une toile d’Auguste Renoir puisque le jardin de Cagnes-sur-Mer, où demeure l’artiste, est l’un des lieux où joue le petit garçon, avec les enfants du peintre. Maurice Jaubert suit des études d’avocat à Paris, y réussit avec sérieux et aisance, de même qu’il sera un bon alpiniste. Tout ce qu’il fait, il s’y engage, le prend à cœur. Mais il lui faut la lumière, la vive lumière du Sud, et rien ne lui pèse plus que d’être enfermé. Évoquant sa musique et, en particulier, une composition sur des poèmes de Malherbe, la romancière met cette dimension en relief : « Maurice Jaubert ne cesse d’aller vers cette clarté, cette franchise que son visage porte comme une promesse. N’en a-t-il pas pris la mesure dans les paysages d’enfance, à la montagne et à la mer, d’où le brouillard, le brouillé, est absent ? Promesse du visage déployée par la lumière d’ici, lumière de premier matin éternellement lavée. »
Si la vie de Jaubert touche l’auteure, et nous touche, c’est sans doute en raison des similitudes entre notre temps et le sien. Elles apparaissent au détour d’une inscription raciste sur la façade d’une boucherie halal, mais aussi dans les formidables potentialités d’une époque. Les années trente sont riches sur le plan des techniques – celle de la reproduction du son par exemple – et fécondes en matière artistique : le cinéma de Cavalcanti ou de Grémillon, comme celui de Vigo et d’autres, est inventif. Jaubert est lié d’amitié avec Giono, tous deux rêvent de scénarios pour les cinéastes les plus novateurs. On peut espérer en l’avenir. À ceci près que, dans le même temps, le compositeur Florent Schmitt affirme son engagement en faveur des nazis, et que Kurt Weill, à qui Jaubert rend hommage dans Esprit, est obligé de s’exiler. L’antisémitisme s’affiche impunément, porté par des pétitionnaires dont les noms nous surprennent parfois. Jaubert affirme, propose, s’engage. Catholique fervent, il est proche d’Emmanuel Mounier, dont Maryline Desbiolles trace un portrait élogieux. On avait un peu oublié ce que le philosophe personnaliste avait représenté dans ces années-là.
Mais la ressemblance entre les époques ne suffit pas à faire un livre : « mon projet n’est pas de percer son secret, de mettre à jour son mystère, de déchirer son opacité mais de l’aimer. D’aimer ensemble évidence et opacité ». C’est pourquoi il s’agit plus d’une quête, d’une recherche poétique, que d’une biographie. Maryline Desbiolles avance avec son personnage. Elle le suit au fil des saisons, au gré des voyages. C’est un sujet pour le beau temps, que la pluie entrave jusqu’à décourager. Le roman est aussi le journal de cette écriture qui sinue, revient parfois sur ses pas, avance au fil des découvertes, des lettres lues, des contemplations de paysages. La flore niçoise – le genêt en particulier – joue son rôle dans l’aventure. Maryline Desbiolles herborise, même si ses fleurs sont les mots qu’elle déplie.
La beauté du Beau Temps tient au doute qui s’empare parfois de l’auteure, à ses certitudes lumineuses aussi. Ce n’est pas une statue dressée, pas un tombeau. Rien qui fige : « Comment se tenir près de Maurice Jaubert et ne pas faire corps avec lui ? Comment ne pas se fondre dans ses lettres et plus encore dans sa musique sans plus ajouter un seul, un traître mot ? Comment s’engager tout entière dans cette histoire et en même temps tenter de décoller, tenter de se dégager, une épaule, deux épaules, le torse, comment prendre la tangente ? En somme, comment ne pas assujettir Maurice Jaubert ? Comment ne pas en faire mon sujet ? Comment le laisser libre et, ce qui va de pair, comment rester libre moi-même ? » Questions d’une amoureuse.
Norbert Czarny
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