Bref, il y a un mort, un cadavre quelque part, dont Simon, le narrateur, ne parvient pas à se défaire, qu’il enferme dans un coffre, celui de sa voiture, puis dans le jardin sous les tomates, qu’il oublie, qu’il ressasse, mais dont curieusement il ne veut pas se décharger, sur sa compagne par exemple, qui est à l’origine de l’encombrante situation. De là à estimer que le mort n’est pas mort mais le fantôme de quelque chose qui traîne dans la vie et dans l’esprit du narrateur, il y a deux cents pages que l’on franchit allégrement, sans toutefois, au bout du compte, détenir de solution.
Le récit est alerte tout en prenant son temps, il s’attarde volontiers, est minutieux quand il décrit les détails de la vie de Simon et des autres. Certains d’entre eux intriguent et ceci d’autant plus qu’ils évoluent sur fond de quotidien banal. Comme le gendarme Henri, bonasse et inquiétant. Représentant de l’ordre et capable, lui aussi, de tuer. Ou l’hôtesse de la fête où s’invite Simon. Au moins aussi désemparée et démunie que lui, dont elle cherche pourtant à faire son protecteur, dans un passage étourdissant de drôlerie et de burlesque, très « Marx Brothers », mais sans tarte à la crème.
Simon n’est pas le moins étrange, prenant à la légère cette histoire de cadavre qui lui tombe dessus après avoir cassé la rambarde du premier et basculé au rez-de-chaussée de sa maison ; et ne faisant pas face à ce qui en découle, ne faisant jamais face. Laissant la vie filer. Et les événements décider de la suite. De temps à autre, dans l’urgence, comme impulsivement, il se résout à une action : enterrer le cadavre, détruire l’écran télé avec une barre à mine (qui n’a jamais servi), informer la police que sa compagne a disparu. Ce qui, apparemment, introduira le doute dans l’esprit du gendarme.
Apparemment, car rien n’est sûr, tout se passe peut-être dans l’esprit de Simon, qui se comporte en masochiste : il endosse une mort qui n’est pas de son fait, en coupable idéal toujours prêt à penser que lui-même, peut-être, aurait pu… Par ailleurs, toujours prêt (sans toutefois se départir de sa distance, de sa mollesse agrémentée d’humour) à accueillir la nouveauté, l’imprévu de la vie, comme l’arrivée d’une inconnue (une nouvelle femme possible), car ce qu’il cherche, ce dont il a besoin, c’est d’elle, qui se trouve là, d’une autre, pourquoi pas, d’un complément, d’un antidote.
[ Extrait ]
Restez avec moi, a dit Cécile Pajol, je ne veux m’attarder avec personne. J’ai tout de même des amis à retrouver, ai-je dit. Eux, je veux bien les retrouver, a dit Cécile Pajol. Mais qui vous a invité ? Raphaëlle, ai-je dit. Raphaëlle qui ? a-t-elle demandé ? Je ne sais pas, en fait, ai-je dit, je la connais depuis deux jours, elle habite à l’autre bout du village. Raphaëlle Lachenal, a dit Cécile Pajol. Charmante. Son mari s’est noyé. Charmant aussi. Ce sont les autres que je connais, ai-je dit. Les voilà, d’ailleurs, ai-je ajouté en pointant le menton vers la gauche de la piscine, où je venais d’apercevoir Henri et Nicole tenant en main une assiette, assis sous une tonnelle couverte de vigne vierge.
Marie Etienne
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