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Une ville en déshérance

Article publié dans le n°1115 (01 nov. 2014) de Quinzaines

Pendant quelques années, Didier Daeninckx a écrit des romans qui semblaient n’évoquer que le passé. Certes, un passé qui passait mal, mais l’air du temps, pour désagréable qu’il fût, ne tournait pas au nauséabond. Retour à Béziers, une longue nouvelle, se déroule dans la cité héraultaise, peu avant que le maire actuel ne soit élu.
Didier Daeninckx
Retour à Béziers
Pendant quelques années, Didier Daeninckx a écrit des romans qui semblaient n’évoquer que le passé. Certes, un passé qui passait mal, mais l’air du temps, pour désagréable qu’il fût, ne tournait pas au nauséabond. Retour à Béziers, une longue nouvelle, se déroule dans la cité héraultaise, peu avant que le maire actuel ne soit élu.

La narratrice se prénomme Houria. Elle est née dans la ville mais son père est monté à Paris avec toute la famille au moment de la guerre d’Algérie. Houria rentre à Béziers parce que sa maigre pension ne lui permet pas vraiment de vivre dans la capitale, même si elle possède rue Saint-Maur un petit appartement. Les conditions dans lesquelles elle se loge dans sa ville d’origine sont à la fois excellentes et étranges. Elle habite le centre-ville, avec vue sur les allées Paul-Riquet, symbole de gloire passée, quand l’industrie vinicole était florissante.

Avant 1954, la capitale biterroise attirait la foule ; les lois sur l’hygiène publique, contre l’alcoolisme qui dévastait les populations et provoquait des ravages sur les routes, ont eu raison de cette richesse. Au fil du temps, les viticulteurs ont abandonné les vignes ; la concurrence étrangère a joué, l’évolution des goûts et des habitudes aussi. La ville a connu le déclin, l’incurie des édiles a fait le reste et la montée de la pauvreté a mis le pays K.O.

Daeninckx ne fait pas œuvre de sociologue, ni même de reporter. Il écrit en romancier, s’attachant à des détails, à de courtes scènes vécues par la narratrice lors de ses premiers mois dans la ville. Une agression commise par des dealers soucieux de protéger leur territoire, quelques propos hors de propos, un fait divers authentique – la mort de Jean-Michel Rieux, harcelé moralement par ses employeurs – permettent de dresser le portrait d’une ville en déshérence. C’est sobre et précis, comme toujours avec l’auteur de Cannibale ou de La mort n’oublie personne. C’est effrayant. L’arrivée du maire soutenu par le Front national, une sorte de figure médiatique populiste, se produit à la fin de la nouvelle, quand tout y a préparé.

L’auteur a arpenté les rues de la ville, fréquenté ses quartiers perdus, ses rues sinistres, ses zones franches qui servent de refuge à tous ceux qui fuient un centre-ville dégradé, sans vie. Le marché si dynamique est hanté plus que fréquenté ; le dernier cinéma est fermé, remplacé par les salles du Polygone. Le reste à l’avenant.

La balade d’Houria prend un tour poétique, de cette poésie des zones délaissées qu’on trouve aussi chez Jean Rolin ou Gilles Ortlieb, autres écrivains qui s’attachent à une façade décrépite, à une enseigne dont quelques lettres manquent. Les « Établissements Gaillard, Magasins généraux de vins » laisseront la place à une résidence cossue, un jour, qui sait. Les boutiques du centre-ville n’attendent plus rien.

Un sourire vient parfois, à la lecture. Ainsi lors de la rencontre de cet homonyme rom d’un ancien président de la République, citoyen autrichien, accepté dans son pays, contrairement à ce qui advient dans le nôtre. Le sourire ne dure pas. Les adeptes du complot américain et les conseillers du maire, anciens militants d’une droite plus qu’extrême, font leur trou dans le paysage. Houria restera à Béziers : c’est la ville natale de Jean Moulin, non ?

Norbert Czarny

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