À l’ouverture du livre, photographiés sur une double page, quatre carnets d’esquisses, fermés, donnent à voir la variation modulée de leur matière et de leur couleur, du beige au noir. Et des crayons, des plumes, des pinceaux, un tube de rouge empreint du pouce de Van Gogh, une palette, d’autres palettes seront reproduites, leurs couleurs répertoriées, nommées, prêtes à leurs emplois. Les objets sont exposés pour plusieurs mois au musée d’Amsterdam. Ce livre est le catalogue de cette exposition. Mise en page et illustrations servent au mieux les analyses qui conduisent, à partir de ses composantes matérielles, jusqu’au « style » de Van Gogh.
En avant-propos, il est rappelé que la « fascination » exercée par l’œuvre de Van Gogh ignore la réalité : « Il est souvent considéré comme un peintre ayant suivi sa propre voie, indifférent aux faits et gestes de ses contemporains. Rien n’est moins vrai. Il a beaucoup appris des autres artistes et à l’origine ne s’est guère écarté des sentiers battus », selon le directeur du musée Van Gogh.
« Songeant à Monticelli, il pleurait. » C’est Gauguin, l’éphémère compagnon de Van Gogh à Arles, qui l’écrit en 1888. Adolphe Monticelli, né en 1824, est mort en 1886. Van Gogh, né en 1853, meurt en 1890.
Pour suivre l’itinéraire de Van Gogh, nous sommes munis depuis peu d’un ouvrage monumental : les six volumes de sa correspondance complète illustrée (Actes Sud/Van Gogh Museum/Huygens Institute, 2009, cf. QL n° 1 004).
Les études du catalogue sont attentives à la facture aux moyens, utilisés. À lire et à regarder de près, on sera ici sensible au passage de la peinture épaisse à l’usage de la peinture à l’eau. Et s’accomplira le retour à ce qui est le médium de l’œuvre de Van Gogh.
Au souci de la couleur, devenue la préoccupation de la peinture chez les Impressionnistes, Van Gogh pourra ajouter des jeux sur le noir. Les thèmes, les sujets, dont la succession est connue, sont rendus à leurs composantes, à leur diversité. Mais l’attention est portée à l’acquisition de nouveaux matériaux. Le sombre et le clair qui alternent paraissent étrangers à toute vision « métaphysique ».
Chez son frère Théo, marchand de tableaux, il voit des Monet. Il fera l’expérience de la lumière « impressionniste ». Il écrira à sa sœur : « On a entendu parler des impressionnistes, on s’en représente monts et merveilles, et lorsqu’on les voit pour la première fois, on est amèrement déçu. » Cette lumière diaphane ne sera pas la sienne. La lumière émergera, éclatera, de l’épaisseur de la pâte colorée.
L’empan de la main et des yeux de Van Gogh est large. Il s’approprie Hiroshige. Du Japonais, il retient Pont sous la pluie, le mouvement et l’immobilité des arbres de Pommiers en fleurs (1887).
En 1888, Van Gogh part pour Arles, ce serait, dit-on, son Japon, la lumière d’Hiroshige, ses couleurs contrastées. Mais, ce qui est sûr, c’est que Van Gogh, à cette date, identifie le Midi à un peintre, Monticelli. Le catalogue analyse la pratique de Monticelli, la pâte, la touche de Nature morte florale (1875) du fonds du Musée. Les ressemblances avec la pratique de Van Gogh sont manifestes.
Cette analyse matérielle peut s’accompagner des propos tenus par Van Gogh sur Monticelli : « Lorsque l’ami Gauguin sera ici et que nous irons à Marseille, je me suis bien proposé de me promener sur la Canebière vêtu comme lui, comme j’ai vu son portrait avec un immense chapeau jaune, un veston de velours noir, un pantalon blanc, des gants jaunes et une canne de roseau, et avec un grand air méridional. »
Déguisement qui recouvre, sans doute, une question plus sérieuse, celle de la peinture même. Quel est son objet ? Monticelli l’a-t-il réalisé ?
Il écrit à Théo : « Tu sais que moi j’ai toujours la prétention de continuer la besogne que Monticelli a commencée ici. »
Georges Raillard
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