Une exposition très inattendue autour de Littérature. La revue, fondée en 1919 par Aragon, Breton et Soupault, a eu deux visages. Austère dans sa première version, où l’on pouvait lire dans le même numéro un texte de Gide et un autre de Valéry. Des couvertures uniformes sur papier jaune. Tout autre, la « nouvelle série » : papiers de la couverture une fois rose, une fois bleu et un chapeau haut de forme renversé de Man Ray.
L’exposition de Beaubourg concerne la nouvelle série, dirigée par le seul André Breton à partir du numéro 4. Picabia y apparaît pour des « Pensées souvenirs ». À partir du numéro 5, le peintre, le dessinateur aigu, aux figures énigmatiques, va imposer sa vision. Cette année-là, 1922, Breton préface une exposition de Picabia à Barcelone. Il y prononce la conférence devenue historique « Caractères de l’évolution moderne et ce qui en participe ». De Picabia, il écrit : « J’aime et j’admire profondément Picabia. »
De ces sentiments, l’exposition de Beaubourg donne deux preuves. L’une est connue, la suite des neuf couvertures de la revue dessinée, composée par Picabia pour Littérature, du numéro 4 (1er sept. 1922) au dernier, en juin 1924 - l’année du Manifeste du surréalisme.
L’autre preuve de l’admiration, voire de l’affection, de Breton pour Picabia est venue de la révélation en 2008 de tous les dessins préparatoires ou des originaux conservés par Breton de ce que Littérature avait publié. On doit à Aube Breton- Elléouët, qui a retrouvé ces précieux documents, de les voir aujourd’hui au Centre Pompidou, dans le fonds duquel ils sont entrés.
Cette exposition inattendue comprend aussi des photos, des tableaux liés à Littérature : Le Violon d’Ingres de Man Ray, le dos de Kiki de Montparnasse, Les Amoureux de Picasso. Des photos : l’élevage de poussière de Marcel Duchamp, ses portraits féminisés en Rrose Sélavy, Proust sur son lit de mort (1922) par Man Ray et la version d’Aragon dans le même numéro : « tout le monde a reculé à faire à ce Balzac du XXe siècle les reproches vulgaires qu’il mérite » (« Je m’acharne sur un mort »). Accompagnant des dessins, Picabia a écrit « Hyperpoésie », « Superréalisme ». La place du rêve, de la sexualité (y compris celle des « monstres »), les mots sans rides : on suit, avant le Manifeste, tout ce qui a déjà été donné à voir et à lire dans Littérature, et qui y conduit.
Après le récent Remedios Varo (NQL n° 1099), Aube Breton-Elléouët, poursuivant l’entreprise qui consiste à faire connaître les « phares » du surréalisme - qui ne sont pas tous célèbres -, publie un Dorothea Tanning. Le nom de cette artiste née dans l’Illinois en 1910, « un jour d’orage », a souvent été associé à celui de Max Ernst. Ils se sont rencontrés à New York en 1942. Ils vivront ensemble trente-quatre ans, jusqu’à la mort de Max Ernst, à qui elle survivra jusqu’à l’âge de cent deux ans, après avoir publié un dernier recueil de poèmes. Breton, en 1943, avait accueilli dans sa revue VVV un conte de la belle jeune femme. La même année, elle expose Birthday, titre donné par Max Ernst, un autoportrait. Le thème restera constant. Picabia en souligne « la double résonance de vérité et de songe, de raffinement et de sauvagerie ».
Les femmes jeunes, belles, inquiétantes, sont les actrices de scènes où elles exposent leur corps parmi des fétiches. Jean-Christophe Bailly, auteur d’un ouvrage sur Dorothea Tanning paru aux États-Unis, écrit à propos de The Gest Room (1950) : « le secret de ce tableau c’est de tenir si fermement son secret qu’il s’en va en arrière avec lui, ne nous laissant que des indices épars ». On verra cette toile dans ce film remarquable dont Jean-Christophe Bailly est l’un des commentateurs. Ce coffret sur Dorothea Tanning en texte et en images est une réussite.
Georges Raillard
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