ÉTIENNE FAURE
Écrits cellulaires
Le Phare du Cousseix, 2017, 16 p., 7 €
Écrits cellulaires se présente sous forme de vers libres réunis en courtes strophes de deux à cinq vers. Les épigraphes de Verlaine et d’Emmanuel Bove relient de manière univoque l’adjectif « cellulaire » à l’enfermement dans l’espace de l’écriture, espace de vie :
D’un habitacle nommé chambre
où l’on aura entassé des livres
et lu, subdivisé la vie en cellules
un jour la coquille est vendue
C’est à la première personne que se disent le deuil et la finitude :
De jour comme de nuit je suis mort
l’espérance a vécu
Incarcération des mots dans des groupes qui les délimitent et les brident ? Le distique établit une équivalence stricte entre la vie et l’espérance, c’est elle qui deviendra sujet impuissant (mort) de la seconde strophe, détachant le souffle de ce qui pourrait définir la vie, du corps au moins.
Elle est morte
au-delà de tout entendement
je respire encore
Or c’est de la proximité des morts qu’il est question, puisqu’ils « ne cessent de remuer », mais aussi des mots : « Jadis fleuris, ces draps d’hiver ». Le dernier son de « fleuris » appelle le premier d’« hiver ». Mais on entend la métaphore établissant entre le passé et le présent une béance que les morts occupent en l’investissant d’une forme de vie souterraine paradoxale, réelle cependant.
Les parents disparus, les enfants passent en première ligne :
Orphelin vite
et déjà au bord
de la fosse
Toujours trop tôt. La jeunesse, en accéléré, nous plonge dans l’automne sec, dont les feuilles sont des « lettres mortes », « un courrier laconique » mais explicite. Cependant, le cœur vide des « aïeux en exil », restés dans ces « écrits cellulaires », ne continue-t-il pas à battre puisque les morts remuent sans apparaître ? Les livres entassés qui les ont accompagnés sont encore vivants, avant d’être revendus. Ce qui commence voisine déjà la fin.
Si chaque nouvelle mort nous inscrit plus sûrement dans le registre des disparus prochains, l’amour est entendu comme lien entre vivants, puis entre vivant et mort.
Ton amour d’1,72 m est dans les airs
tu l’entends qui passe au-dessus de la ville
et du verre empli de soleil que tu lèves
santé, elle atterrit
Mais voilà que ce « tu » meurt à son tour : « te voici en terre toi aussi ».
Alors les saisons traversées terrassent doucement : parcourir le livre qui va vers sa dernière page et regagnera le silence de la bibliothèque ; écrire le poème « qui prétend / tout résoudre » ; lire ou écrire « sans effroi » le mot « fin ». Voici l’enterrement d’un matelas en route pour la décharge, comme la répétition infinie de ce qui est passé. Un châle glissant au sol dénude la chaise, un être se dévêt et le vivant s’arrête. Voici des échos de vie (« un scooter /emportant à l’aube un vivant »), illusoire accalmie de vibrations condamnées où seuls « les mots saisis demeurent ».
MICHEL BOURÇON
À l’arbre que l’on devient
Le Phare du Cousseix, 2017, 16 p., 7 €
À l’arbre que l’on devient propose des notes en prose de deux à sept lignes. Son narrateur est lui aussi dans sa « cellule ». Il regarde au-dehors dans l’attente du poème :
Par la fenêtre, parmi le balancement des arbres chahutés par le vent, il y a le livre qui attend d’être écrit, on distingue parmi les branches, la silhouette d’un poème […].
Voici le poème aux longues phrases lentes. « Nulle empreinte dans cette nuit éblouissante. » C’est un chemin sans traces. L’observation de menues fractures dans le temps ordinaire fait surgir au-dehors les mots qui entreront dans la danse du poème, vivant, improbable. Nous retrouvons cet espace de vie et d’écriture, cette « coquille » fragile, qu’il faudra bien quitter un jour :
Fin de nuit, la lumière monte, on se lève avec ses vestiges pesant dans le corps, déjà une pie se moque éperdument du monde, coquille vide que la peur finira par remplir.
L’extérieur et l’intérieur semblent fusionner. La page restée blanche ne laisse pas ignorer les mots en bourrasque qui ne manqueront pas de se poser à un moment ou à un autre.
Dans le jour de neige, seuls les flocons savent ce qu’ils font, pas une aile au ciel pour déchirer le blanc, les mots tourbillonnent en tête et se poseront ailleurs, pas sur la page où un feutre noir repose comme pain sur la planche.
Ce « pain sur la planche », qui incombe au poète, nous en avons le fruit sous les yeux.
Les notations de lieu sont nombreuses, elles dressent le cadre précis d’un poste d’observation et d’un temps : un val, des arbres, la neige qui tombe, des rafales de vent. Le parallèle établi entre les arbres à tailler et le poème à écrire permet de filer une comparaison. Michel Bourçon utilise l’indéfini « on », qui implique le lecteur. Le « je » s’écarte pour que la voix laisse entrer tout ce qui se présente. Les parois qui se dressent, entre l’intérieur et l’extérieur, sont franchies.
À quel effacement sommes-nous voués ? Le titre le suggérait, une métempsycose particulière pourrait nous conduire à endosser la vie d’un arbre. Cette métamorphose libérerait de soi, comme elle permettrait, par un singulier et signifiant transfert, d’écrire, « alors qu’on n’est qu’une feuille s’abandonnant au vent pernicieux ». Près de nous, notre ombre, notre double, menace toujours de s’éloigner :
Celui qui se retourne dans la rue dévisage sa disparition […]
À chaque pas, nous nous perdons ; devenus arbres, serions-nous fixés ? Nous éloignant toujours (de quelle ombre ?), ces disparitions successives, échos anticipés de notre propre mort, dessinent l’absence. Les mots pourraient-ils la faire retentir ? Prononcés par d’autres bouches, voleraient-ils autrement ? L’ombre est notre royaume : celle de notre corps qui se reproduit sans cesse, celle de la vie enfuie dans un futur certain, celle de ce « on » universel qui s’écarte « de son corps » pour rejoindre les objets qui nous entourent ou les arbres.
L’expérience poétique, qui fait se rencontrer l’intérieur et l’extérieur, peut porter à l’espoir de maintenir, au moins en partie, contre l’oubli, ce qui s’échappe fatalement :
Que voir dans cette main qui renferme la mémoire du corps aimé, dans son tracé sur la page, sinon un désir d’envol, de prendre son essor comme une aile le ferait sans l’oiseau.
Subsistent la nuit pénétrante, la fatigue et la conscience de n’avoir pas encore disparu puisqu’autour demeurent l’arbre et son nid, et les mots. On voudrait rejoindre les morts sur un « seuil nouveau ».
Depuis quand l’accompagne ce sentiment de n’habiter que l’écriture, cette brèche ouverte par laquelle il s’engouffre pour échapper à tout ce qu’il a perdu ou bien enfoui en lui, malmené par le temps, ballotté par tout cela qui le fait durer pourtant, petit homme chassé de son corps et de sa maison.
Le poème est-il la seule certitude ?
Isabelle Lévesque
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