Elle en a bien besoin. Elle sort d’un asile psychiatrique, ne sait trop comment se comporter et s’habiller, a tendance à parler trop vite. Divorcée d’Anthony qui s’est remarié avec Sheila, elle n’a plus le droit de voir Roméo, leur fils. William retrouve la jeune femme, la conduit à Savigny-sur-Orge et organise la rencontre. Mais pas seulement. Il doit beaucoup d’argent à Vernerey, son patron. S’il ne rembourse pas, il risque gros. Or l’argent est là, chez Anthony, caissier du syndicat, dont le cartable est rempli de billets. Et William n’a pas trop de scrupules.
Nous n’entrerons pas dans le détail d’une intrigue serrée, rédigée dans une langue sèche qui doit beaucoup – mais pas tout – au roman noir. William, avec son jeu de cartes de visite, ses identités et ses fonctions diverses, ressemble à Franck Poupard, le héros de Série noire, film d’Alain Corneau mis en mots par Perec. Il est aussi déstructuré que lui et la relation qu’il entretient avec Staplin, son ex-patron, ressemble beaucoup, le dialogue aidant, à celle qu’à l’écran Patrick Dewaere avait avec Bernard Blier.
Le dialogue : c’est bien ce qui fait avancer les personnages de ce roman et met en relief leur formidable médiocrité. Dans ce registre, on peut compter sur Leduc, le patron de l’usine en grève, sur Bardot, le détective qu’il a engagé, sur Sheila, belle-mère équivoque du jeune Roméo… Tous se tiennent au collet, sont prêts à en découdre, par le geste, par l’arme à feu ou par les mots. Le cadre – une banlieue sans âme – se prête à ces règlements de compte. L’orage gronde, le soleil écrase tout, on cherche la terrasse abritée et on boit beaucoup. Toutes sortes de boissons. Au milieu de ce nulle part, la silhouette évaporée de Mathilde se détache. Entre vamp sans cervelle et instrument de la fatalité, elle ressemble aux héroïnes de Chandler ou de Jim Thompson. Elle tourne la tête à William, plus sensible encore, toutefois, à la présence de Sheila. Bref, de quoi entraîner ce héros malgré lui vers l’abîme.
La réédition d’Un notaire peu ordinaire, paru l’année dernière, permet de percevoir les similitudes de ce roman avec La Fille de mon meilleur ami. Le roman noir, selon Ravey, est d’abord un roman social. Il décrit des oppositions de classes, montre des affrontements ; on en connaît les vainqueurs, ils en ont les signes. Dans les deux romans, une carabine est l’instrument qui produit le dénouement. Dans La Fille, c’est la carabine de Leduc, dans Un notaire peu ordinaire, c’est celle de maître Montussaint, patron de la société de chasse. Autrefois ami de Rebernak, le notaire rend service à la veuve de celui-ci : il lui trouve un emploi. Mais on ne donne rien sans rien et le notaire est sensible au charme de Clémence, la fille de Martha Rebernak. Le retour au village de Freddy, un paria longtemps emprisonné pour un viol, sert de déclencheur à une intrigue là aussi nouée, explosive.
C’est dans la différence de classe sociale et surtout dans celle des générations que tout se joue. L’intrigue est une apparence, l’engrenage dans lequel nous entrons avec délice et horreur.
Norbert Czarny
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