Du haut, du ciel, on ne connaît d’abord qu’un Ange. À ce qu’il nous apprend, le ciel est au plus bas car Dieu est mort. Il faut donc faire avec, cuisiner quelques restes. De bonté, par exemple, et d’intérêt pour les humains, au moyen d’un pouvoir diminué. L’Ange est capable encore d’ouvrir le toit du ciel, d’entrer dans les maisons d’en bas sans être repéré, et de lire sans effort les pensées des humains. Du coup, de modifier un peu, au mieux, le cours des choses, d’intervenir pour éviter l’enlisement dans le malheur et même d’orienter vers le bonheur. « Un vrai miracle ne fait pas de bruit. »
Tel se présente l’état du ciel et de l’un de ses représentants. Pas bien fameux mais mieux que rien. Sur la terre, ce n’est pas comme au ciel, les situations, les personnages sont plus courants, plus attendus. Nora se désespère : elle a perdu son fils. Mathias se désespère : il va perdre Nora qui s’éloigne de lui à cause de son chagrin.
Tantôt l’Ange pense tout haut, et tantôt on le voit par les yeux de Mathias, de Nora, car il parvient à s’introduire, à se mêler à eux pour accomplir sa tâche : réparer en partie le désastre, en évitant, pour commencer, qu’il ne s’aggrave. Comment deviendra-t-il un familier du couple ? Comment s’y prendra-t-il pour que Nora reprenne goût à son travail de peintre et à la vie ? Comment Mathias aidera-t-il le ciel, sans le savoir, mais pour son plus grand bien ? Toutes péripéties qui se succèdent et qui se suivent avec un intérêt certain. Ne cachons pas pourtant que la grâce du récit tient à l’Ange. À ce qui le concerne : son être évanescent, bizarre, le lieu d’où il vient, ses pensées, ses actes, ses projets.
Tout ou presque en dépend et d’abord le langage. « De toute façon on tombe. “C’est toujours la gravité qui gagne… Oui, même les anges attendent leur propre chute”. » C’est ce que pense Mathias tandis qu’il escalade des rochers (pour approcher physiquement du ciel ?) et qu’il est sur le point de tomber, ou encore qu’il se mue en médecin humanitaire (pour approcher moralement le même ciel ?).
On soupçonne que l’Ange, qui commence à agir, qui ne laisse pas tomber Mathias, dans les deux sens du terme, n’est pas le seul à être descendu sur terre. Ceux de là-haut s’ennuient, parfois l’un d’eux se mêle à la foule d’en bas, s’emmêle à une humaine et lui fait un enfant, comme c’est le cas avec Nora. Le résultat, le fils qui naît, tient de l’ange et de l’homme : un demi-dieu qui tourne mal.
Dommage. C’est la faute à cet amour auquel croient les humains qui s’obstinent à aller deux par deux. C’est la faute à un dieu revanchard qui a coupé en deux l’androgyne initial, de telle sorte que « chaque moitié allait avoir de quoi s’occuper sur la terre, passer son temps » à rechercher l’autre moitié.
On connaît l’intérêt de Pierre Péju pour les contes, le romantisme allemand, Hoffmann, Tieck, Chamisso. C’est avec l’Ange qu’il est à l’aise, et nous par conséquent aussi. L’Ange nous est proche comme un frère, comme un ami hélas insaisissable. Cependant que Nora, avec son drame et ses pinceaux, Elsa la marginale, compagne du fils défunt, ne nous concernent pas autant : plus terrestres, plus terriennes, elles s’enfuient, elles s’enferment, crient leur colère avec des « merde ! », traitent de « cons », de « conneries » ce qui s’oppose à elles ou ne leur convient pas. Étrangement, ce sont les anges ou apparentés qui sont le plus crédibles.
Le lecteur cherche aussi la moitié du roman égarée dans les guerres, les déboires terrestres, individuels et collectifs, leur absence de grandeur, qui cohabitent mal avec le féerique et auraient fait pendant au conte, sans l’abîmer. À ses risques et périls, l’Ange se mue en humain pour connaître l’amour et approcher les femmes, qui lui sont tout à fait étrangères.
« Ah tout est tellement précaire, tellement fragile. Sur la terre comme au ciel, rien ne tient vraiment le coup. Le sable des circonstances vous file entre les doigts. Sur la terre comme au ciel, celui qui croit avoir réussi un petit quelque chose – je ne parle pas de sa vie ou même d’un roman –, celui-là ne voit pas la vague démesurée qui approche et va anéantir ses efforts. Vague de destruction massive qui nivelle tout sur son passage. Alors, quoi qu’on ait accompli, se reposer au septième jour comme au vingtième ou au centième, pas question ! »
Marie Etienne
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