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Hommage

Article publié dans le n°1250 (29 janv. 2023) de Quinzaines

Pour rendre hommage à Gilbert Lascault, ancien collaborateur de La Quinzaine littéraire, puis de La Nouvelle Quinzaine littéraire, nous publions un extrait de l’avant-propos d’un livre qu’il a signé chez l’Arbre vengeur en 2020.
Gilbert Lascault
Petite tétralogie du fallacieux
Pour rendre hommage à Gilbert Lascault, ancien collaborateur de La Quinzaine littéraire, puis de La Nouvelle Quinzaine littéraire, nous publions un extrait de l’avant-propos d’un livre qu’il a signé chez l’Arbre vengeur en 2020.

Gilbert Lascault est à la littérature française ce que Peter Greenaway est au cinéma britannique. Un ludion d’exception, une brillante anomalie que les institutions appréhendent avec difficulté, et une figure que les amateurs et les esthètes chérissent — trop souvent en secret. L’un et l’autre, œuvrant hors des voies trop balisées de la commande, ont su, ont senti comment bâtir au cœur même de leur époque une œuvre bardée d’intelligence accueillante et grave, parée de beautés fugaces, cuirassée de malices.

À l’instar de Jean Dubuffet ouvrant les portes de l’art en y invitant les zigotos et les refusés, comme le Collège de pataphysique plaidant pour Lautréamont et Jarry, à l’instar de François Caradec, Noël Arnaud ou Anatole Jakovksy militant pour les arts populaires et les recoins peu fréquentés de l’érudition, du bizarre et des savoirs joyeux, Gilbert Lascault a initié avec ses études savantes sur les monstres (Le Monstre dans l’art occidental[1]), ce que Jurgis Baltrusaitis avait lui-même entrepris au sujet des anamorphoses : libéré des dogmes, il faisait pénétrer par les fenêtres de la critique esthétique un univers tout entier, ainsi que l’avait pu tenter, par exemple, mais sur l’air de la chronique, André Pieyre de Mandiargues dans ses pages lunaires de la NRF. Apparemment en apesanteur, Gilbert Lascault trottait au cœur des étrangetés comme Jean Follain jouait dans L’Épicerie d’enfance, ou comme Jacques Réda éprouvait L’Herbe des talus.

C’est la double rencontre de Michaux et de Jean Dubuffet qui l’a initié à l’art contemporain. Agrégé de philosophie dès l’âge de 26 ans (1960), il en est devenu très vite un fin connaisseur appelé à s’exprimer dans les émissions du « Panorama » de France-Culture ou dans La Quinzaine littéraire de Nadeau et à l’université qui lui offrit un poste de professeur d’esthétique à Nanterre en 1968. C’est là qu’il proposa à ses étudiants des « séminaires d’incertitude », démonstration suffisante de son esprit exploratoire porté à la torsion des canons.

Né le 25 octobre 1934, Gilbert Lascault s’était éveillé au monde dans le bouleversement de la guerre — son père retenu en stalag, il connut les déplacements « sans livres et sans jouets » après l’expulsion de sa famille en 1940. C’est ainsi qu’il explique son goût pour les objets dont s’encombre et honore le musée officieux qui lui sert de domicile où de magnifiques objets ethnographiques plus ou moins menaçants rivalisent d’intérêt avec quelque bouddha haché par le temps et des oeuvres de Jean Hélion, d’Antonio Seguí ou de Pierre Alechinsky. « Mes objets m’aident, déclarait-il au Monde en mai 2008. Mes parents étaient de petits quincailliers d’Obernai et mon lieu ressemble à une quincaillerie chaotique. Les peintures, sculptures, photographies m’incitent à penser un peu, à rêver, à écrire des textes le plus souvent brefs et disséminés. Je métamorphose mes chambres, comme le font bien des créateurs amis, comme le faisaient les surréalistes et auparavant Victor Hugo ou Apollinaire. En me glissant dans une coquille, j’invente des proses ludiques. J’essaie de me surprendre légèrement, de ne pas m’ennuyer. Mes phrases ne m’éblouissent pas, mais elles me donnent de minuscules plaisirs, des instants de bonheur discret. » 

[1] Klincksieck, 1973 ; réédition 2004.

Eric Dussert

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