Ils sont quatre, sur un petit voilier, entre Naples et Capri. C’est l’été. Un été chaud, humide, souvent ponctué d’orages. Le narrateur s’est trompé de port, arrivant avec Lone, sa compagne, près du château de Naples, mais pas celui où est amarré le voilier de Jean, son frère. Ils se retrouvent, Jeanne arrive, et l’on sent qu’alors tout va se dérégler.
Jeanne a été l’amante du narrateur. Depuis sept ans, elle vit avec Jean. Lone n’en sait rien : elle l’apprendra au cours du voyage. Tout cet été sera fait de tensions, de moments de crises larvées, d’instants unissant ou séparant les êtres.
Et d’abord, tout le dit dans l’écriture de Vincent Almendros, dont c’est ici le deuxième roman après Ma chère Lise. L’auteur écrit sec, en paragraphes qui sont autant de secousses, parfois brèves, en ellipses et en allusions, comme dans cette évocation nocturne : « La mer, écrasée, sommeillait, profonde et paisible, lisse et vernissée. Tout dormait. Tous dormaient. »
Lui ne dormait pas, on l’aura compris. La première nuit dans la chaleur intense est une insomnie et l’heure de retrouvailles face au ciel étoilé avec Jeanne. Elle est belle, elle a à peine vieilli, contrairement à Jean dont « l’œil torve » et « l’usure du visage » traduisent à la fois une réalité visible, objective, et la relation qui le lie au narrateur. Celui-ci semble remis de cet amour perdu, pour lequel il concède une « sorte d’affection » que tout par ailleurs dément. Cette traversée entre le continent et l’île si proche, si belle et tentante, est jalonnée de signes ; on les interprète comme autant d’étapes vers un dénouement qui pourrait être tragique. Un été a des airs de thriller, un peu comme Monsieur Ripley de Patricia Highsmith, qu’il rappelle par l’affrontement en mer. La chute, après une ellipse de quelques mois, ramène les personnages dans la région parisienne, et a quelque chose de vaudevillesque.
Mais n’y avait-il pas d’emblée quelque chose de bizarre, voire de grotesque, dans l’épisode de la casquette oubliée par le narrateur ? Il n’avait pas de couvre-chef et prenait le risque de coups de soleil, que Lone évite. La casquette joue un rôle déterminant, revenant çà et là à travers les pages comme un mistigri, un révélateur. Laissons aux lecteurs le soin d’en apprendre davantage.
Un été se lit d’une traite mais ne laisse pas son lecteur en paix. On sent bien qu’une bonite, des méduses ou du plancton, la chaleur intense d’un été, le grain d’une peau, des yeux aveuglés par le soleil, tout ça n’est pas là pour rien. Le malaise persiste, une sorte de mal de mer. C’est en même temps bien agréable d’être ainsi mené en bateau.
Extrait
Ça n’avance pas très vite, dis-je. Quatre nœuds, rétorqua mon frère, c’est pas mal, tu sais. Il fit suivre ces mots d’un rictus, laissant entendre qu’il allait falloir que je m’habitue au rythme de la navigation. Je regardais le sillage blanc que nous laissions derrière nous, un V ondulant et mousseux qui se déployait sur la surface aplatie des vagues.
Au bout d’un moment, je finis par avouer à Jeanne que j’avais mal au cœur. Tu es trop habillé, me dit Jean. Je ne voyais pas très bien le lien entre la chaleur et le mal de mer. Dans le doute, je descendis à l’intérieur du bateau en me maintenant à ce que je pouvais pour ne pas basculer.
En bas, l’air était irrespirable. Il s’exhalait une émanation étrange, un mélange écœurant de renfermé et d’effluves salins qui donnait envie d’aérer. Je me sentais de plus en plus nauséeux. Je parvins à m’approcher du recoin où j’avais rangé mon sac et ôtai mes vêtements. Je les troquai pour un simple tee-shirt blanc et un short de bain.
Lorsque je voulus remonter, je croisai Jeanne qui descendait. Il n’y avait pas vraiment de place pour deux et nous optâmes pour un face-à-face en s’engageant chacun de profil sur les marches. On ne put éviter un frôlement, et nous nous excusâmes aussitôt pour désamorcer d’un sourire tout début de quoi que ce soit. Tu es blanc, remarqua-t-elle, il faudrait que tu manges quelque chose. Ça va aller, lui dis-je. Malgré la pauvreté de nos échanges, pour l’instant, ça se passait bien entre nous.
Mon frère m’expliqua que j’avais le mal de mer parce que j’étais descendu dans le « carré ». Il valait mieux rester à l’air libre quand on n’avait pas le pied marin. Je lui fis remarquer que j’étais allé me changer sur ses conseils. Oui, tu as bien fait, dit-il.
Mon cœur, à nouveau, se souleva, puis s’enfonça dans l’ascension. Va te mettre à l’avant, proposa-t-il. Ça va passer, lui dis-je.
Norbert Czarny
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