En 1933, tous les modes d’expression du surréalisme – peinture, dessin, sculpture, collage – sont représentés. 1936 : exposition surréaliste d’objets et non pas d’objets surréalistes. Breton voulait signifier que l’objet est choisi, élu par un regard surréaliste : l’objet trouvé aux puces ou la construction d’objets à fonctionnement symbolique. Le ready-made naît d’un choix. Les classiques de Duchamp sont à Beaubourg. En 1938, coup d’État glorieux, l’exposition internationale du surréalisme organisée par Breton et Eluard, Duchamp en est le « générateur-arbitre ». Un long couloir orné de la plaque des plus belles rues de Paris et quinze mannequins des plus belles filles dus aux figures de proue du surréalisme, Max Ernst, Miró, Masson, Man Ray… Au plafond de l’entrée, des sacs de charbon qui laissent échapper leur poussière sous les visiteurs. Puis, à la galerie Maeght, « Le Surréalisme », en 1947 : la superstition, le tarot, l’attention aux mythes. L’exposition reflète les cheminements de Breton à cette date, autour d’un « mythe nouveau » à traduire. En 1959-1960, chez Daniel Cordier, Éros domine. L’érotisme, non la « gaudriole ». L’érotisme de Georges Bataille et de Charles Fourier. En 1965, l’exposition intitulée « L’écart absolu » est explicitement sous le patronage de Fourier, dont Breton aux États-Unis a mesuré toute l’ampleur de l’œuvre.
Aujourd’hui, pas d’entrée fracassante à Beaubourg : une lumière mesurée règne sur un long et large couloir. On est loin du « foyer de dépaysement » éprouvé en 1938. Sauf, ce qui ne se voit pas : venue du plafond, la musique, ou pour mieux dire la « nudité des sons ». Des « soupirs » composés avec le concours de quelques jeunes amies, par Radovan Ivšić à la demande de Breton pour l’exposition « Éros ». Il le raconte lui-même dans un texte repris dans le Dictionnaire à l’entrée « Soupirs ».
La surprise, moins heureuse, naît de la disparate de ce qui est donné à voir dans le vaste couloir. Des « objets » dus à de jeunes artistes chez qui, en dépit de ce qu’on peut lire, on chercherait vainement le rapport au surréalisme. Devant une vitrine où sont rassemblés des paquets ficelés à l’adresse du commissaire de l’exposition, le visiteur peut hésiter.
Le Dictionnaire fournit des renseignements. Inégaux. Là des pages entières, ici dix lignes pour le rêve, à peine plus pour le désir. Ou bien une surprise dans ce dictionnaire-catalogue : une longue notice, bienvenue, sur Joseph Cornell (1903-1972). Ses boîtes sont célèbres. Mais, me dit-on, exposées à Lyon, elles n’ont pu trouver place à Beaubourg.
Il aurait été bon que cet ouvrage collectif s’ouvrît par une introduction, définissant la perspective choisie. Un texte de Didier Ottinger, commissaire de l’exposition, paraît en même temps mais chez un autre éditeur que celui du Dictionnaire : La Sculpture au défi. La Peinture au défi était, jadis, le titre donné par Aragon à sa défense du collage. Contre la peinture luxueuse, la domestication marchande, « le collage est pauvre ».
Didier Ottinger analyse les rapports, en 1927, de la subjectivité surréaliste et de la révolution marxiste. Un dilemme. Dalí l’aurait résolu par la fabrication d’objets à fonctionnement symbolique : « Mieux que le collage qui restait une interprétation du réel, en laquelle subsistait une part d’expression subjective, l’objet constituait le réel lui-même, le fondait sans interprétation ni médiation ».
Le prototype des objets à « fonction symbolique » fut la Boule suspendue : « Elle ouvre l’histoire de l’objet surréaliste. » Cette œuvre (1930-1931), on la voit dans la belle salle Giacometti de l’exposition. Maurice Nadeau en décrit l’effet en ces termes : « Cette boule est mobile, et se déplace au-dessus du solide inférieur, de façon que l’arête de celui-ci soit en contact avec la base fendue de l’autre. Ce contact n’est pas une pénétration. Or tous ceux qui ont vu fonctionner cet objet ont éprouvé une émotion violente et indéfinissable. » (Histoire du surréalisme, Seuil, 1944, p. 215) (Cette œuvre est désignée par Nadeau sous le titre L’Heure des traces, qui est celui d’une autre sculpture, qui a retenu également l’attention de Dalí.)
À la fin de l’exposition, Le Grand Transparent de Jacques Hérold (1946-1947), trop peu vu depuis des années. Et à côté de ce grand personnage d’un métal éclatant, le tronc, peint en vermillon, marqué à sa cicatrice d’un sexe-araignée, de l’Objet du couchant. Miró, sur le dessin préparatoire, avait seulement écrit « Objet ». Comme je lui posais une question sur ce titre, il le renvoya à Breton qui l’avait inventé. Pour lui, Miró, c’était un caroubier, un arbre, de sa terre et de son imaginaire, comme l’échelle, une montée. Décidément pas un « objet du couchant ».
La dernière salle, très vaste, est tout entière animée de couleurs, toute une population de Miró, bâtie d’objet trouvés dans l’orbe de son regard et de son désir. Ce que veut dire Miró ? « La liberté est à vous ». À propos de Monsieur et Madame, deux tabourets trouvés dans la cour et coulés en bronze, un rond et un carré, sur l’un un œuf, il me dit : « Deux personnages faits pour aller ensemble. Je ne fais pas ça pour jouer. J’estime que “ça” va sur “ça”. » Un coït, selon le mot cher à Miró.
Georges Raillard
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