Ce village de La Bachellerie, Jean-Marc Parisis le connaît bien. Il y passait ses étés, chez ses grands-parents, dans les années soixante. Il ne savait pas alors que pendant la guerre la Dordogne avait accueilli les réfugiés alsaciens, et parmi eux des juifs. C’est en s’interrogeant, un jour, sur les photos de la rafle du Vél d’Hiv qui pourraient exister qu’il apprend l’histoire des Schenkel. D’eux, il ne saura pas grand-chose, sinon ce que lui apprennent quelques livres publiés localement, et bien sûr les ouvrages de Serge Klarsfeld.
Son enquête prend un tour nouveau quand il rencontre Benjamin Schupack, qui était adolescent à l’époque. Benjamin a échappé aux rafles et à l’irruption des Allemands dans le village. Il est parti vivre en Israël après la guerre mais il accompagne le narrateur. Sans le savoir, il l’aide, oriente sa recherche : « Benjamin s’inquiétait parfois, discrètement, de la tournure de mon projet. Roman, pas roman ? Un récit, Benjamin. Je raconterai les faits. En me méfiant des charmes de la narration. Le destin des Juifs du village m’affectait sourdement. La médecine aurait parlé de douleur transmise, irradiant à distance de son foyer originel, ici d’un point du temps à un autre ; elle m’élançait régulièrement, étrangement. Devant les photos des déportés, je me souvenais d’amis perdus que je n’avais pas connus. »
On est là au cœur du très beau récit de Parisis. Il reconstitue les faits, montre ce village à l’heure vichyste puis allemande. On croise Mme Lagorce, boulangère, dont le fils Guy, devenu romancier, transposera les faits avant que Parisis ne les reprenne à l’aide des documents, en regardant des photos qui émaillent le livre et qu’il décrit : « Seule me guidait la lumière filtrant des photos des enfants, leur déchirante joie de vivre, qui ne se disait pas, mais qui se voyait, s’imposait. » Son livre rend un peu de vie aux êtres, un peu comme le faisait Les Disparus de Mendelsohn, ou comme on le lit dans la bouleversante dernière page de Dora Bruder : les pauvres secrets de la jeune fille resteront à l’abri de tout et d’abord de ceux qui l’ont condamnée. Parisis pas plus que Modiano ne se met « à la place de », il ne reconstitue pas par la fiction. Il se tait quand il s’agit d’évoquer le pire, l’arrivée à Auschwitz : « Si les mots ont manqué à ceux qui ont vécu l’enfer, il n’y a rien à y ajouter. »
Norbert Czarny
Commentaires (identifiez-vous pour commenter)