La couverture annonce la couleur. D’abord par le titre de l’ouvrage : le vert et les vers. Ensuite par la photographie de Brigitte Palaggi : une carte routière posée sur le tableau de bord d’une voiture ; au-dessus le vert d’une prairie et celui, plus sombre, d’une haie, vus à travers le pare-brise que constellent des gouttes de pluie.
Une note placée en fin de volume indique que « le livre s’origine dans la vision et les sensations éprouvées lors d’une première traversée du Cantal, fin 2004 », suivie de trois autres, en compagnie de la photographe Brigitte Palaggi, en 2014 et 2018.
Le trajet structure le texte, les numéros des routes départementales et les nombreux toponymes en sont les points de repère.
Le volume compte vingt sections, la dernière est constituée d’un cahier de photographies dans lesquelles résonnent les mots des poèmes. Les dix-neuf premières s’organisent en dizains de décasyllabes. On pouvait lire le tout premier de ces dizains dans La Sauvagerie[1], de Pierre Vinclair, qui avait fait appel à cinquante poètes pour édifier ce monument, inspiré de la Délie de Maurice Scève. Cette épopée chantait et défendait les espèces animales menacées ou disparues et leurs écosystèmes. Pour Délie, Maurice Scève avait composé 449 dizains ; pour La Sauvagerie, Pierre Vinclair en avait écrit autant, auxquels s’ajoutaient les contributions de ses 50 compagnons. Olivier Domerg est allé un peu au-delà, puisque son nouveau livre en compte 455.
Dans un entretien, l’auteur explique sa conception du poème de paysage : « Les lieux doivent innerver la prose ou le vers, coïncider avec eux. L’écriture doit faire ressentir physiquement la furie ou le fracas des vagues, le réel qui déboule dans la page.[2] » Soutenir l’intérêt du lecteur en 300 pages peut sembler une gageure. Les monts du Cantal au printemps, leurs pâturages et leurs vaches pourraient produire un poème monotone et répétitif. Pourtant, les variations et surprises ne manquent pas.
Les formes régulières du poème décimal (10 vers de 10 syllabes) sont constamment battues en brèche par des coupes de vers surprenantes. Une même phrase peut courir d’une strophe à l’autre. La « syntaxe essentielle des pacages » et « la grammaire du Cantal » s’imposent.
Le poète-paysagiste, qui écrit d’abord sur le motif dans un carnet, ne reste pas longtemps immobile. Il arpente le terrain, s’approche ou recule.
« Ça pépie dans les buissons, tout près !
Tu prêtes l’oreille, idem, aux criquets
Qui alimentent, itou, la bande-son. »
L’énergie de ce paysage-poème passe aussi dans le goût de l’auteur pour les jeux de mots et calembours, dans le heurt des tons et niveaux de langue, du familier au plus recherché ou à l’archaïque. Le poème ne se refuse rien.
Hommage à un film comique, une section a pour titre Mary a tout pris ; une autre, Objectif Mars, nous renvoie à une aventure de Tintin. Quant à Retour amont, c’est la reprise d’un titre de René Char. D’autres poètes sont nommés ou cités au cours du voyage, comme Reverdy ou Ponge. Et puis, il y a l’hommage à l’ami Gil Jouanard, disparu au début du printemps 2021, et dont des vers sont cités à plusieurs reprises.
Un vocabulaire précis, donc très riche, contribue à rendre la traversée mouvante et vivante. Ainsi le paysage peut-il être tacheté, ocellé, tavelé, pointillé ou encore ponctué.
Si le vert compose le poème, c’est à l’herbe qu’il le doit :
« La Beauté, soit, réside dans l’ensemble ;
La ”combinatoire des éléments” ;
Des prairies, les entrelacs subséquents :
Si l’arbre affûte toute transition,
L’herbe verte est bien ce ”verbe qui tremble”. »
L’ensemble du poème chante la beauté du paysage et un bonheur de sensations, c’est un « ravissement » sans aveuglement :
« Tant de verdure nous lave de tout,
Y compris de nous-mêmes (Et de la honte
D’être humain, en ces temps de Néant,
De folie dispendieuse et destructrice) !
Rincés, vous voilà sur votre séant ! »
La traversée du paysage-poème achevée, la nécessité du vert et du vers s’est bien fait sentir, Nature et Poésie ont partie liée. Affirmant qu’il est « encore temps de bifurquer avant la catastrophe », Michel Deguy nous rappelait, dans L’Envergure des comparses[3], que « Hölderlin parlait de “la poésie comme éducation du genre humain” » et liait poétique et écologie. Olivier Domerg donne la parole au paysage et, déjà, « [t]ant de VERT vous délivre de vos peines ».
[1] Pierre Vinclair, La Sauvagerie, Corti, coll. Biophilia n° 19, 2020. Cf. notre article dans Quinzaines n° 1235, avril 2021.
[2] Michaël Batalla et Olivier Domerg, « L’État des lieux », Po&sie, n° 179-180, 1er – 2e trimestre 2022.
[3] Michel Deguy, L’Envergure des comparses, Hermann, 2017.
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