Dans un style sobre qui joue sur l’alternance des voix et la pluralité des regards, Rhidian Brook se fait le chroniqueur d’êtres sous tension, tiraillés et repentants, tâtonnant et jonglant avec des émotions contradictoires. En seulement quinze chapitres, le romancier saisit subtilement ses personnages dans toute leur ambivalence et leur sensibilité, entre refoulement et mépris, colère et passion, vulnérabilité et jeux de pouvoir. Les notions de « vainqueur » et de « vaincu » volent rapidement en éclats.
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Britanniques sont chargés de la reconstruction de l’Allemagne vaincue. Lewis Morgan, colonel de l’armée britannique, installé à Hambourg, a pour mission de superviser les opérations. Il est séparé de sa famille depuis plusieurs mois quand sa femme Rachael et son jeune fils de onze ans, Edmund, le rejoignent.
Parmi les décombres, de nombreuses villas ont été épargnées. Or la villa réquisitionnée à l’intention du colonel est toujours occupée par son propriétaire – l’architecte Stefan Lubert – et sa fille, une adolescente prénommée Frieda. Lewis Morgan laisse une partie de la maison aux Lubert pour cohabiter, persuadé que c’est en fraternisant que l’Allemagne pourra se reconstruire. L’atmosphère y reste longtemps irrespirable, la haine ne demandant qu’à jaillir entre deux familles frappées par le deuil. À cela s’ajoute, pour Morgan, une autre préoccupation, plus intime : les années de séparation ont creusé un fossé entre son épouse et lui. Il est confronté à une cohabitation doublement difficile, avec Rachael d’une part, avec l’architecte d’autre part.
Le colonel Morgan est un homme de guerre pourvu de qualités humaines, qui souhaite donner sa chance à un peuple fier de son pays mais honteux des événements tragiques qui l’ont ravagé pendant une décennie. Les personnages qui vont tourner en orbite autour de Morgan, sa femme, son fils, Herr Lubert et sa fille, ont tous un passé chargé. S’y mêlent amour et haine, déception, déchirement, mais aussi espoir. Des idylles vont naître, de la compassion pour ces rescapés, une mère qui a perdu son fils, ou une fille qui a perdu sa mère, de l’incompréhension à cause d’une langue et d’une culture différentes puis un rapprochement. L’architecte allemand, très cultivé, peut-être un ancien nazi, sera l’amant de la femme de notre officier britannique, chef du secteur de Hambourg. Ladite femme, pianiste, trouvera dans la maison mise à sa disposition un magnifique piano Bösendorfer et découvrira que Bach est allemand !
Avec Dans la maison de l’autre, Rhidian Brook signe un livre optimiste sur la repentance, le pardon et la volonté de reconstruire, nourrit une réflexion osant remettre de l’ordre dans l’Histoire, suggérant aussi que les sentiments qui dominent l’homme sont la peur, la peur de l’autre, de l’inconnu, mais aussi l’amour. Le titre original – The Aftermath –, non seulement souligne les séquelles de la guerre, mais encore l’idée que tout drame a un lendemain. Ce beau roman se conclut par la scène de l’architecte sortant de la Commission de nazification et regardant sa ville démolie, mais à reconstruire. Tout à la fois émouvante et visionnaire, cette page exprime l’espérance des générations futures : « Il voyait toute une ville émerger de la désolation. Une belle ville pour les enfants, les parents et les grands-parents, les amoureux et les gens en quête d’amour, les êtres brisés et reconstruits, ceux qui manquaient à l’appel et qui vous manquaient, les êtres perdus et ceux qui étaient retrouvés ».
Franck Colotte
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