À l’entrée de l’hôtel du boulevard Saint-Germain, deux grandes pièces métalliques, dans une lumière raréfiée, sont suspendues. Leur ombre portée redouble les chemins tracés dans le métal. Cette entrée est une captivante introduction à une œuvre diverse. Avec pour point de départ et horizon, l’activité donnée à l’image, à sa fabrication, à ses effets. Maria Bonomi parle elle-même de « passage par l’image ». Ainsi décrite par le commissaire de l’exposition, Georges Coli : regroupés, les bris en glace de miroirs brisés qui dessinent « un chemin incertain de reflets coupants ».
Ces chemins, le sculpteur les trace dans le bois (xylo, sur la table qui est la matrice des gravures). Suivant une tradition brésilienne, Maria Bonomi recourt avant tout à la xylographie (au Brésil ce procédé familier est abrégé en xylo). Les chemins alignés on les retrouve dans les sculptures d’aluminium et dans les grandes constructions en ciment des monuments publics de São Paulo. C’est dans cette métropole qu’elle s’est formée, avec son maître Livio Abramo, trotskyste, qui, en 1964, dut s’exiler au Paraguay. Maria Bonomi avait recueilli avec lui et pour toujours son sens de la révolte et son attachement à la liberté. Les xylos ne délivrent pas un message lisible. Mais ils peuvent l’inscrire dans leur sillon, qui, dès lors, se transforme sous notre regard. Ainsi, Balada do terror, xylogravure de 250 x 140 cm. On en perçoit immédiatement la beauté et la violence. Une violence qui s’accroît, quand Maria Bonomi la commente : un supplice imaginé par la dictature – le torturé est assis sur un vase contenant un rat qu’on excite par la chaleur d’un feu… La Balada est construite sur une grande figure verticale rouge coupée par quatre rectangles joints par un chemin circulaire.
Maria Bonomi a toujours dans son sac une gouge, y compris à Paris. L’outil est le prolongement décisif, tranchant, de la main, une insertion violente dans la matière qu’il transforme. On ne saurait mieux dire que ce qu’a écrit Clarice Lispector de cette amie très proche : « J’imagine Maria Bonomi dans son atelier utilisant ses mains – instrument le plus primitif de l’homme. De ces belles mains puissantes, elle prend les outils et imprime l’héroïque force humaine de l’esprit, en coupant, en aplatissant et en faisant des entailles. Et peu à peu les rêves latents de Maria se transforment et prennent forme dans le bois. »
Dans ce texte, publié en 1971 dans le Jornal do Brasil, Clarice Lispector avoue qu’elle ne sait rien de « l’exercice spirituel intérieur de Maria jusqu’à ce que naisse sa gravure ». Un « mystère ». L’écrivain peut simplement noter : « je présume que c’est le même processus que le mien quand j’écris quelque chose de plus sérieux que la séance du samedi, le plus sérieux dans le sens le plus profond ».
Entre Clarice Lispector et Haroldo de Campos surgissent à l’esprit des différences plutôt que des ressemblances, sinon celles d’inventions avant-gardistes. Pas de « séance du samedi » chez le poète théoricien du concrétisme attaché à la matérialité du langage… Les mots sont des choses. Ils s’ajointent par métonymie, forment des galaxies, semblent ignorer la métaphore. Roman Jakobson a rendu hommage à Haroldo de Campos qui collabora avec lui.
On lira dans le catalogue le texte qu’il écrivit dans un livre fait en collaboration avec Maria Bonomi : Éloge de la xylo. Le poème de Haroldo est composé de blocs d’écriture, une colonne où les mots, un ou deux par ligne, obéissent à un double classement : par parenté verbale, par thème. Les thèmes sont ceux de notre réalité quotidienne, et de nos mythologies : le démon / le paon /, Lampion, [le célèbre bandit d’honneur] / la Vénus du xylo, le Christ du xylo. Ces thèmes sont aussi ceux de la littérature populaire du Nordeste brésilien, le cordel, brochures dont la couverture est un xylo et que l’on voyait exposées les jours de foire accrochées à une corde. Le mot cordel, et le bois et le fer, le thème, la matière et le procédé sont unis comme ils pourraient l’être dans le fondement du travail artistique de Maria Bonomi, et de l’activité poétique qui conduit à l’activité du poème.
Dans l’Éloge du xylo sont imprimés ensemble, horizontalement, le titre, le mot cordel, une main tirée du bois, identifiés à sa matière : en portugais madeira, c’est le bois, c’est la matière qui est pour le graveur celle de la matrice, génératrice d’œuvres multiples et en même temps à elle seule une œuvre comme on en voit à la Maison de l’Amérique latine.
L’origine de la matrice ? Suivons Clarice Lispector : un « mystère ».
Lire aussi l’article « En vérité Clarice Lispector » de Tiphaine Samoyault dans ce numéro (NDLR).
Georges Raillard
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